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Les Récréâtrales 2016, côté cour, côté maison
La [fédération du Cartel->https://africalia.be/ce-que-nous-faisons/burkina-faso/cartel qui organise les [Récréâtrales->http://www.recreatrales.org/fr est un des partenaires d’Africalia. La particularité de ce festival de théâtre, dont la 9e édition s’est tenue du 29 octobre au 5 novembre 2016 à Ouagadougou, (...)
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Les Récréâtrales 2016, côté cour, côté maison
La fédération du Cartel qui organise les Récréâtrales est un des partenaires d’Africalia. La particularité de ce festival de théâtre, dont la 9e édition s’est tenue du 29 octobre au 5 novembre 2016 à Ouagadougou, est de faire des représentations dans les domiciles. Cette irruption du théâtre et de son public dans l’espace familial a souvent été analysée sous l’angle de l’innovation scénique mais rarement du point de vue des familles hôtes. La famille Ouango nous parle du festival et comment il a changé leur vie.
Quand on entre sur le site des Récréâtrales par la rue pentue du côté Ouest, l’entrée proche du camp Sangoulé Lamizana, on y trouve des cours qui accueillent des représentations. D’autres sont situées dans des ruelles adjacentes. Sont de celles-ci la cour des Ouango. L’entrée est constituée de deux murets et on passe devant un calebassier qui laisse pendouiller ses fruits ronds et verts avant d’atteindre des maisonnettes en banco au fond de la cour. La maisonnée est tenue par les deux veuves du sieur Ouango, disparu en 2004 : Awa Yougbaré et Aminata Zoundi. Elles y vivent avec leurs fils et petits enfants. C’est une famille qui vit très modestement mais dans la dignité. Une situation qui aurait pu inspirer Tchekhov.
Chaque soir, la maison Ouango accueille le spectacle Gentil petit chien d’Hakim Bah, le jeune dramaturge guinéen lauréat 2016 du prix RFI théâtre, mis en scène par Aristide Tarnagda, le directeur artistique des Récréâtrales. Devant la porte des Ouango, les spectateurs doivent contourner un petit étal de commerce d’arachides et de friture de patates, se frayer un chemin entre les clients et les escabeaux. A l’intérieur, une tribune sommaire faite de bancs superposés et de chaises occupe le centre de la cour. Les comédiens utilisent les trois maisonnettes.
Que font les Ouango pendant ce temps ? Certains sont dans la foule des spectateurs, suivant chaque représentation ; d’autres comme Awa et Aminata, fourbues par les travaux de la journée, sont couchées derrière le public, au fond de la cour, sous des moustiquaires sommairement accrochées. Les plus petits aussi, vaincus par le sommeil, dorment là.
Le lendemain, quand nous nous rendons dans le domicile des Ouango, nous trouvons Awa et Aminata, avec quelques enfants et leurs belles-sœurs. Les fils sont partis au travail. La mère Awa est une septuagénaire élancée, un visage fin et racé qui conserve sa beauté malgré l’âge, un port altier et un franc-parler qui ne s’embarrasse pas de circonvolutions. Il lui a certainement fallu adopter cette attitude d’autorité pour occuper la place de chef de famille, laissée vacante par la mort du mari.
« C’est une bonne chose, ces manifestations théâtrales dans nos cours. Elles apportent du monde et cela est bon pour les affaires » dit-elle. Et pointant un doigt vers un petit auvent en tôle devant une maisonnette, elle dit : « Ce sont les Récréâtrales qui ont construit ce hangar. »
Aminata est beaucoup plus jeune, pas plus de la quarantaine ; elle nous parle de la porte des toilettes offerte par les Récréâtrales pour soustraire leur intimité aux regards des comédiens qui répètent à proximité.
Toutes deux avouent n’être jamais allées au théâtre avant que le théâtre ne vienne à elles. Aminata aime suivre les spectacles de théâtre mais elle regrette que la plupart soient en français, une langue qu’elle ne comprend pas. « Si le théâtre était en langue nationale mooré, il aurait été plus accessible. », assure-t-elle. Elle se souvient de Sindi, une adaptation du texte A petites pierres de Gustave Akakpo adaptée en mooré par Sidiki Yougbaré. Cette pièce avait été jouée dans leur cour et elle l’avait trouvée superbe. Et l’histoire très émouvante.
La petite Lydie Ouaga, qui barbote dans une baignoire en plastique à proximité de la cuisine tout en nous écoutant, crie à la cantonade : « Moi, je comprends tout » dit-elle en tournant un regard moqueur vers sa grand-mère.
Aminata nous révèle que Lydie, âgée de seulement cinq ans, aime bien le théâtre et suit assidûment toutes les répétitions les jours où elle ne va pas à l’école. C’est ainsi qu’elle a appris les chansons en kinyarwanda que la comédienne rwandaise Martine Umulisa entonne dans Gentil petit chien. Aminata lui demande de fredonner une chanson. Après un moment d’hésitation, elle se lance. La voix est tenue mais ferme. Et Anaïs, la petite qui était sur les jambes de sa grand-mère et cachait son visage avec ses mains, a joint sa petite voix à celle de Lydie sous les encouragements des deux mamies qui donnent la cadence en tapant des mains. Lydie et Anaïs esquissent maladroitement des pas de danse traditionnelle rwandaise sous les rires des femmes.
La vieille Awa relève une chaise dont un pied semble disloqué. « On a parfois des chaises dont les pieds se cassent ou des meubles et des ustensiles qui se gâtent mais si cela arrive, ce sont les Récréâtrales qui paient ». Elle raconte, de la tristesse dans la voix que durant l’édition précédente, les comédiens ont piétiné son champ d’arachides et de gombos mais elle avait été dédommagée. « Cette année, dit-elle, tout se passe bien. Ils ont aménagé une place derrière la scène où j’ai entreposé ma récolte d’arachide. »
Les Ouango comme beaucoup de familles modestes sèment dans leur concession des arachides pendant la saison des pluies et entretiennent dans un carré un potager de gombo, de tomates et de piments. Les Récréâtrales en s’invitant dans cette cour sème aussi la graine de la culture pour qu’elle soit à la portée de tous. Et la petite Lydie est la preuve que l’art peut bourgeonner dans les milieux les plus inattendus, pour peu qu’on le mette à leur portée. Lydie, comédienne ? Qu’en pensent ces mamies ? Les deux femmes esquissent un sourire gêné…
Saïdou Alcény BARRY
© Septième Thème et Patchwork