S’il est un projet culturel fédérateur, c’est bien celui-là : le Festival de Théâtre Ngoma dont la 5ème édition s’est déroulée du 21 au 30 août 2015 à Kisangani (République Démocratique du Congo). Organisé par le TACCEMS (Théâtre des Amazoulous. Centre de Création d’Echanges et de Montage des Spectacles), il a programmé des représentations d’associations du "Pôle Culturel Est" (Est de la RDC, Rwanda et Burundi), dont Africalia est un partenaire.
Un grand cru, cette édition du 20ème anniversaire de la création de l’organisation, souligne son co-fondateur et directeur, Olivier Maloba : ̏ Nous voulions fêter nos 20 ans en beauté, montrer tout le chemin parcouru mais aussi et surtout préparer l’avenir. Il s’est d’autant plus réjoui que les habitants des trois régions se sont déplacés en masse pour tous les spectacles. ̏ Nous avons réussi notre pari de faire revenir le public dans une salle de théâtre. Malgré les problèmes d’insécurité…" Outre la culture, l’association s’est investie dans la défense des droits de la femme et de l’enfant ainsi que dans la gestion d’une cellule d’études et de stratégies en vue du bien-être de la population.
Lisez l’article d’Ayoko Mensah ci-dessous ou télécharger le au format pdf. Pour mieux découvrir les prouesses d’une organisation qui place la culture en plein cœur de la bataille pour le développement et la sécurité, utilisant ainsi les frontières comme de merveilleux traits d’union dans la région des Grands Lacs qui avait connu tant de tourments.
Chaque année le Groupe Taccems organise à Kisangani, dans l’est de la RDC, le festival de théâtre Ngoma. La 5ème édition, qui s’est déroulée du 21 au 30 août dernier, célébrait les 20 ans de l’association culturelle. Une belle occasion pour, d’une part, convier un large public et, d’autre part, réunir les partenaires du Pôle Culturel Est afin de construire l’avenir du théâtre dans la sous-région.
« Cette édition du festival était exceptionnelle à plusieurs titres. Nous voulions fêter nos 20 ans en beauté, montrer tout le chemin parcouru mais aussi et surtout préparer l’avenir. Le Pôle Culturel Est est un projet ambitieux et difficile auquel nous croyons et qui demande l’investissement de tous les partenaires. » A l’issue du festival, Olivier Maloba, cofondateur et directeur artistique de Taccems, dresse un bilan très positif de l’événement. Chaque jour, près de 400 personnes sont venues découvrir les différents spectacles proposés par des compagnies du Congo mais aussi du Rwanda et du Burundi. « Nous avons réussi notre pari, celui de faire revenir le public dans une salle de théâtre, se réjouit-il. Malgré les problèmes d’insécurité que connaît toujours Kisangani, les Boyomais[1] ont répondu présent. C’est un signe très encourageant, non seulement pour le travail que nous menons ici depuis vingt ans mais aussi pour notre avenir. »
Un rôle social fondamental
L’avenir du théâtre dans l’est de la République démocratique du Congo mais aussi au Burundi et au Rwanda est au cœur du Pôle Culturel Est. Ce projet, soutenu par Africalia, œuvre à construire à la fois un réseau régional de compagnies théâtrales professionnelles et un circuit transnational de lieux de diffusion. « Nous nous sentons plus proches des compagnies de Bujumbura ou de Kigali que de celles de Kinshasa, qui se trouve à plus de 1000 kilomètres, poursuit Olivier Maloba. Notre objectif est donc de fédérer les principales structures théâtrales de trois provinces congolaises[2] et de deux pays frontaliers : le Rwanda et le Burundi ».
Initié en 2011 par une première phase pilote, le Pôle Culturel Est compte aujourd’hui 13 structures membres[3] y compris Taccems, tête du réseau. Appui technique, mutualisation de moyens, formations artistiques, renforcement des capacités administratives, développement d’un marché sous-régional, autant d’axes autour desquels les échanges et les actions s’organisent.
Au sein de Taccems, Olivier Maloba n’œuvre pas seul. L’association compte 10 artistes, dont 4 sont permanents et gèrent la structure au quotidien. Magloire Bolunda, coordinateur et cofondateur du Groupe, se félicite du développement du réseau : « Il y a tant à faire pour pallier le manque d’infrastructures, de professionnalisation, de moyens financiers… Le théâtre joue pourtant un rôle social fondamental… Avant Taccems, notre lieu était occupé par une église du Réveil. Le développement considérable de ces églises est un phénomène inquiétant au Congo. Ma dernière pièce « Et si Jésus n’était pas Dieu ? » traite d’ailleurs de ce sujet. »
De nombreux partenaires
Les pièces présentées dans le cadre du 5ème Festival Ngoma tendent effectivement un miroir aux réalités sociales régionales : dérives et radicalisation religieuses, traumatismes individuels et collectifs liés à l’expérience de la guerre, dévoiement de l’action politique, poids des structures familiales… autant de thèmes d’actualité qui traversent les créations des compagnies invitées, qu’il s’agisse des troupes burundaises ou congolaises.
Cette forte dimension sociale n’a pas échappé à Roland Mahauden, metteur en scène belge et ancien directeur du Théâtre de Poche à Bruxelles, compagnon de longue date du Groupe Taccems et du festival Ngoma. « Nous travaillons ensemble depuis 2003. Je me suis beaucoup investi dans ce partenariat de long terme et c’est pour moi une grande joie d’assister à la réussite de ce festival, de voir des spectacles de qualité et de constater l’affluence du public. » En amont du festival, du 13 au 20 août, Roland Mahauden a animé un atelier avec des metteurs en scène du Pôle Culturel Est. Le réalisateur et documentariste belge Yvon Lemmans a également donné une formation en prise de vue à quelques cameramen. Taccems espère bientôt lancer deux chaînes locales de télévision et de radio dédiées à la culture, en partenariat avec l’Alliance française de Kisangani.
« La culture a un rôle essentiel à jouer dans nos pays, pour ramener la paix, faire progresser l’émancipation des peuples et la tolérance, martèle Olivier Maloba. Aujourd’hui, nous invitons à Kisangani des artistes rwandais et burundais. Ils ne se sentent pas forcément en sécurité et nous sommes responsables d’eux. C’est un risque à prendre des deux côtés mais c’est aussi un signe fort adressé aux Boyomais. »
Malgré les difficultés et grâce au soutien d’Africalia, le Pôle Culturel Est se renforce donc chaque année. Les nombreux partenaires[4] du festival Ngoma, tant privés que publics, témoignent de la reconnaissance du travail au long cours effectué par Taccems. La contribution financière de certains d’entre eux a permis notamment à l’association d’offrir pour chaque spectacle un quota de billets gratuits au public boyomais. Pour la prochaine édition du festival, qui sera une nouvelle occasion de réunir les membres du Pôle Culturel Est, Taccems rêve d’une plus grande programmation internationale et d’un soutien encore plus fort des pouvoirs publics locaux.
Ayoko Mensah
[1] Nom des habitants de Kisangani
[2] Province Orientale, Nord et Sud Kivu
[3] A Kisangani : Taccems, Pum Théâtre et Chic Choc ; à Isiro : Cie Rhinocéros ; à Goma : Yole ! Africa et l’Atelier pour le Théâtre ; à Bunia : La Voix de la Jeunesse de l’Ituri ; à Bukavu : 3Tamis ; à Bujumbura : Pili Pili et Lampyre ; à Kigali : Ishyo, Kaami Arts et Rwanda Arts Initiative.
[4] Citons parmi les partenaires du festival : la Mairie de Kisangani, le Ministère Provincial de la Réforme Culturelle, le Gouvernorat de la Province Orientale, l’Alliance Française de Kisangani, les Studios Kakabo, plusieurs entreprises congolaises (Rawbank, Banque Centrale du Congo Regideso, Beltexco, Bralima CIB, Radio OPED-FM, RTNC, RFM-TV), Arterial Network, le Théâtre de Poche de Bruxelles, Wallonie Bruxelles International, la Ville de Bruxelles…