© Aristide Muco
Fin 2013, le COPRODAC ont réuni les acteurs du secteur culturel burundais et des experts internationaux lors d’un atelier de réflexion et d’échange sur la politique culturelle au Burundi.
Les participants ont fait part de leurs observations : manque de visibilité, difficultés financières, organisation peu efficiente, manque de structures professionnelles… Malgré leur côté plutôt négatif, le secteur culturel a tout de même connu des avancées notables ces dernières années comme l’adoption (...)
Fin 2013, le COPRODAC, le Ministère de la culture, Africalia et l’OCPA (Observatoire des Politiques Culturelles en Afrique) ont réuni les acteurs du secteur culturel burundais et des experts internationaux lors d’un atelier de réflexion et d’échange sur la politique culturelle au Burundi.
Les participants ont fait part de leurs observations : manque de visibilité, difficultés financières, organisation peu efficiente, manque de structures professionnelles… Malgré leur côté plutôt négatif, le secteur culturel a tout de même connu des avancées notables ces dernières années comme l’adoption en 2007 d’un texte sur la politique culturelle ou la protection du droit d’auteur et de nouvelles initiatives voient le jour.
L’atelier s’est conclu par des recommandations sur les actions à mener notamment une réactualisation de la politique culturelle de 2007. Un comité de suivi pour la suite de l’atelier a été mis en place et est présidé par le Directeur Général des arts et de la culture. Ce comité composé d’une équipe pluridisciplinaire a été chargée de coordonner un état des lieux du secteur culturel. Celui-ci donnera lieu à un rapport en vue de préparer des Etats Généraux de la Culture qui sera remis au Ministre de la Culture fin 2014. Le développement du secteur dépend maintenant du respect des engagements en vue d’actualiser la politique de 2007.
Lisez ci-dessous l’article complet Vers une nouvelle politique culturelle au Burundi de Natacha Songore ou téléchargez ici l’article en pdf.
’’La politique culturelle d’un Etat n’est pas figée. Elle est amenée à évoluer. En fonction des enjeux et des besoins, on doit y apporter des ajustements.’’ rappelait en substance le directeur exécutif de l’OCPA[i] François Lupwishi Mbuyamba, lors de l’atelier de réflexion et d’échange sur la mise en œuvre de la politique culturelle du Burundi. Organisée du 24 au 29 octobre 2013 à Bujumbura par le COPRODAC[ii], le Ministère de la culture, Africalia et l’OCPA, la rencontre réunissait une trentaine d’opérateurs culturels indépendants et représentants des administrations publiques concernées. Etaient associés à cet effort de réflexion, le ministère des TIC et des Relations avec le Parlement et celui de l’Enseignement de Base et Secondaire. L’UNESCO s’était aussi joint aux discussions. L’atelier avait pour objet d’analyser le document de politique culturelle adopté par le gouvernement du Burundi en 2007, de vérifier la pertinence d’organiser des Etats Généraux de la Culture et s’il y a lieu d’émettre des observations et recommandations sur les actions à mener. Une tâche ardue qui a retenu l’attention de tous au cours de discussions riches, dynamiques, complémentaires et contradictoires.
Des secteurs entre émergence et structuration
Tout au long de l’atelier, les représentants des divers domaines d’expression culturelle ont exposé la situation de leurs arts respectifs. Présenté souvent comme négatif, le bilan du secteur culturel n’en connaît pas moins des avancées notables. Depuis une dizaine d’années, la vie culturelle bouillonne de nouvelles initiatives. Le COPRODAC et le FESTICAB[iii] deviennent progressivement des cadres efficaces de création et de diffusion du cinéma et de l’audiovisuel. Le domaine des arts plastiques connaît également une structuration récente à travers la création du collectif Maoni. Des inspirations privées comme celle du groupe de presse IWACU ont donné naissance au prix littéraire Michel Kayoya. Les danses culturelles sont valorisées, transmises et parfois revisitées par des clubs nés d’un besoin urgent de perpétuer la tradition.
Force est de constater néanmoins que le secteur culturel burundais souffre d’un manque de visibilité et d’organisation efficiente. L’entreprenariat culturel est une notion encore balbutiante au Burundi. Comment gérer ou développer une carrière d’artiste ? Organiser des spectacles ? Vivre de son art ? Autant de questions auxquelles sont confrontés les artistes burundais tous secteurs confondus.
Spès Caritas Hatungimana du club culturel ’’Giramahoro’’ déplore les difficultés financières liées à l’organisation de leurs spectacles. ’’Les salles sont trop chères et c’est à peine si nous rentrons dans nos frais’’. Le jeune producteur Olivier Iturerere se dit quant à lui préoccupé par la question des droits d’auteur. ’’Les télévisions ne paient pas pour diffuser nos films. De même pour les clips vidéos. On se retrouve plutôt obligés de négocier pour qu’ils soient diffusés.’’ Pas d’éditeurs professionnels comme le regrette aussi Antoine Kaburahe du groupe de presse Iwacu.
A cela, s’ajoute un cadre réglementaire et fiscal peu favorable au développement de la culture : forte taxation du livre considéré comme ’’objet de luxe’’, manque de mesures incitatives pour l’investissement dans le domaine culturel...
Epinglé à plusieurs reprises sur ces différents sujets, le Ministère de la Culture par la voix de son directeur général, a tenu à rappeler la faiblesse de son portefeuille budgétaire qui restreint considérablement le champ de son action. Malgré cela, certaines réalisations sont à noter telles que : l’adoption en 2005 de la loi relative aux droits d’auteur et la mise en place de l’office burundais du droit d’auteur, l’adoption d’un document de politique culturelle en 2007, la mention de la culture dans la vision 2025 et le CSLP II... Des percées louables dont les principaux concernés critiquent cependant l’effectivité et l’efficacité. Une politique culturelle trop vague, un office des droits d’auteur inscrit aux abonnés absents, un manque de communication sur ses activités...
La présentation des grandes lignes de la nouvelle loi sur l’audiovisuel qui prend en compte le cinéma a aussi relancé le débat sur la légitimité de cette prise en charge. Le COPRODAC comme l’a indiqué son président Simon Kururu a mené plusieurs actions de plaidoyer auprès du Parlement réclamant la modification de cette loi et le rattachement du secteur du film au Ministère de la Culture. Le directeur de l’audiovisuel Ferdinand Mbirigi a tenté de rassurer, affirmant que la nouvelle loi, encore en phase de toilettage au conseil des ministres, prenait en compte toutes ces revendications.
Les diverses préoccupations relevées par les participants ont trouvé un éclairage opportun dans les présentations des divers experts d’Africalia[iv] et de l’OCPA venus partager leurs expériences et enrichir les débats.
Enjeux et engagements politiques internationaux
A l’aune de la renaissance culturelle africaine, la prise en considération de la culture par les Etats comme facteur de développement humain durable est un enjeu crucial. Alors que le continent a subi depuis la colonisation un système d’aliénation pernicieusement destructeur, la construction et la consolidation d’une civilisation africaine contemporaine requiert l’effort de tous et devrait guider la politique culturelle de chaque Etat africain. L’exposé du Pr François Lupwishi Mbuyamba a trouvé résonance dans les réflexions des divers participants. ’’Protéger, valoriser, retrouver nos valeurs’’ des mots entendus à maintes reprises dans le cercle des discussions. Dans le contexte du Burundi encore en phase de post conflit, le retour aux sources revêt pour beaucoup une grande signification. Quelques participants comme le professeur Ntahombaye sont largement revenus sur le sujet mettant en lumière l’importance du patrimoine immatériel, de l’identité culturelle et linguistique.
Une préoccupation partagée par la réalisatrice Justine Bitagoye ’’Je ne connais pas les contes, ’’imiganis’’[v]et ’’ibicuba’’[vi] de mon pays car personne ne me les a appris. Je suis incapable de raconter des histoires de notre folklore national à ma fille. J’ai le sentiment d’être totalement acculturée’’ avoue-t-elle non sans interpeller le Ministère de l’Enseignement de Base et Secondaire pour l’élaboration d’un véritable programme d’enseignement de la culture burundaise.
Maté Kovaks de l’OCPA a rapporté que le Burundi n’est pas signataire de la Charte de la Renaissance culturelle africaine et n’a pas non plus ratifié la convention sur les droits d’auteur. Des textes de référence repris par la majorité des Etats africains et qui renforcent les politiques culturelles des Etats de l’Union Africaine. La question demeurant pourquoi le Burundi n’a pas encore emboîté le pas de ses voisins ? Et quand compte-t-il le faire ?
Au-delà des objectifs du millénaire pour le développement et des conventions internationales, le directeur général d’Africalia Frédéric Jacquemin a rappelé que la vision d’une culture participant à la dynamique du développement humain durable s’accompagnait d’une stratégie claire. ’’Il faut éviter de tomber dans l’écueil de la dépendance des partenaires ou encore dans celui de l’instrumentalisation des politiques culturelles par les Etats. ’’
Une vision perceptible dans sa démarche de coopération avec ses partenaires. Le programme pluriannuel du COPRODAC 2012-2014 qui vise à renforcer les conditions de production, de diffusion et de professionnalisation du COPRODAC a été élaboré conjointement par les deux parties comme le soulignait la Gestionnaire- Programme d’Africalia Dorine Rurashitse.
Des stratégies et des méthodes
Qu’il soit opportun d’organiser les Etats Généraux de la Culture ne faisait plus de doute à la fin de la première journée de l’atelier. Mais comment s’y prendre ? Quelle méthode utiliser ? Quelle stratégie développer ?
La lecture du document de politique culturelle de 2007 révèle que les objectifs peu ou mal définis n’étaient pas non plus déclinés en résultats à atteindre. ’’Une politique culturelle se construit avant tout sur des consultations individuelles avec des consultations structurées au sens le plus large.’’ rappelle Isabelle Bosman, consultante en élaboration, suivi et évaluation des politiques culturelles. Un état des lieux de tous les secteurs d’expression artistique par une méthode inclusive requérant la participation du plus grand nombre constituait donc un préalable.
On notera également que le texte aborde très peu les contributions possibles de la culture au développement économique. Michel Saba, directeur des études de l’ISIS-SE[vii] et responsable des prix spéciaux du FESPACO[viii], présentait la politique du film du Burkina Faso. Une communication qui a démontré l’impact puissant d’une volonté politique forte sur le développement d’un secteur se traduisant par un ensemble de textes de lois et diverses actions conséquentes. Le FESPACO est considéré aujourd’hui comme la plus grande manifestation culturelle du continent. Soutenu par l’Etat à hauteur de 50% de son budget, soit 500 000 000 de FCFA, le festival contribue au développement du pays et de son image dans le monde. L’établissement public ’’ISIS’’ et l’Institut privé ’’Imagine’’ sont devenus des références pour l’enseignement du cinéma en Afrique.
Au défi de l’entreprenariat culturel, Luc Mayitoukou répond par l’affirmatif. Dans un contexte aussi difficile que celui du Sénégal à une époque (forte instabilité politique avec 12 ministres de la culture différents sous la présidence Wade, taxation de 45 à 50% des spectacles, une forte piraterie des produits musicaux...), la fédération des énergies a prouvé qu’elle pouvait renverser la tendance. Les créateurs ont appris à devenir entrepreneurs et à créer leurs propres structures. L’action de plusieurs associations par le plaidoyer et la structuration a aussi permis la création du Forum de Promotion des entreprises culturelles et créatives du Sénégal - FOMECC. Luc Mayitoukou en association avec son frère Saintrick Mayitoukou a développé la société ’’Zhu Culture’’ qui en plus de ses activités de gestion culturelle dispense des formations en management culturel dans une vingtaine de pays en Afrique.
En route pour les Etats généraux
Au final, les participants à l’atelier ont émis des recommandations relatives aux orientations et actions les plus urgentes ainsi que des recommandations relatives au développement et à l’opérationnalisation du système.
Parmi les principes qui devraient sous-tendre la politique culturelle actualisée, on retiendra la liberté d’expression, fondamentale à la paix et à l’innovation. Au gouvernement, il a été également recommandé d’assurer la réalisation d’un état des lieux complet et circonstancié du secteur sur tout le territoire national et de procéder à l’actualisation de la politique culturelle de 2007 ainsi que l’élaboration d’un plan stratégique global et opérationnel.
La feuille de route préconise la mise en place d’un comité pour le suivi des recommandations de l’atelier, la facilitation de la réalisation de l’état des lieux et de la préparation des Etats généraux de la culture. Une équipe pluridisciplinaire d’acteurs culturels de terrain coordonnée par un spécialiste des politiques culturelles pour le développement aura 9 mois pour procéder aux enquêtes et présenter ses constatations et propositions au comité de suivi.
La fin de l’atelier sonnait le début d’une aventure dont le succès dépendra du respect des engagements et de l’action concertée de tous les intervenants dans le secteur : pouvoirs publics, opérateurs culturels, artistes et acteurs privés.
Natacha Songore
[i] L’Observatoire des Politiques Culturelles en Afrique
[ii] Le Collectif des Producteurs pour le Développement du Cinéma et de l’Audiovisuel du Burundi
[iii] Le Festival International du Cinéma et de l’Audiovisuel du Burundi
[iv] Isabelle Bosman, experte politique culturelle, François Lupwuishi Mbuyamba de l’OCPA, Maté Kovaks de l’OCPA, Luc Mayitoukde Zhu Culture et Michel Saba de l’ISIS
[v] Proverbes
[vi] Poésie
[vii] L’institut Supérieur de l’Image et du Son de Ouagadougou
[viii] Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou